Le temps de la vérité attendra

 

Mi-septembre 2020, s’est ouvert à Tokyo le procès des années Ghosn, sans l’intéressé exilé au Liban. A défaut d’une confrontation, directe, avec le procureur de Tokyo nous avons le livre, Le temps de la vérité[1], que l’ancien PDG de l’alliance a écrit en collaboration avec son biographe attitré Philippe Riès.

Cet ouvrage est un plaidoyer qui fait écho aux accusations dont est l’objet l’ex-PDG de l’Alliance. On retrouve, donc, les arguments qu’il aurait pu développer devant la cour de justice japonaise s’il ne s’était pas refugié au pays du Cèdre. C’est aussi, pour Monsieur Carlos Ghosn l’occasion de nous convaincre de tout le bien que nous devons penser des années où il fut à la tête de l’Alliance

« Tremblement de terre en vue. Carlos Ghosn est sur le point de prendre sa revanche. L’ancien patron de Renault prépare un livre explosif avec des révélations sur une possible collusion entre Nissan, la justice japonaise et les pouvoirs publics ». La presse

 

Le livre devait tout casser qu’en est-il ?

le point de départ de l’affaire Ghosn

Dans les années 2009-2010 une loi japonaise a imposé la déclaration nominative de la rétribution des dirigeants dans le cas où elle excède 100 millions de yens annuels (plus de 800 000 euros). Pour éviter toute publicité gênante, ne pas se fâcher avec Renault et répondre aux exigences salariales de Carlos Ghosn, la société Nissan a imaginé de transférer une partie de la rémunération du PDG, en accessoire de salaire, reversée, à son départ à la retraite. Ce gentlemen agreement entre le constructeur asiatique et son PDG est confirmé par d’autres sources :

Des salariés de Nissan dont G Kelly reconnaissent avoir travaillé sur une façon « légale  » de rémunérer davantage M. Ghosn à partir de 2010, pour le dissuader de rejoindre une autre entreprise où il aurait été mieux payé.

Toshiaki Ohnuma, qui était chargé de superviser les rémunérations de la direction chez Nissan a fourni des pièces compromettantes aux enquêteurs pour prouver comment Nissan avait manigancé afin de payer Ghosn à la hauteur de ses attentes sans que les sommes encaissées ou à venir soient intégralement rendues publiques.

Sur le sujet, voici en substance ce qu’en dit Carlos Ghosn :

« Quand la règle des 100 millions de yens a été imposée, j’ai pensé que le public japonais ne comprendrait pas que je gagne 18 à 19 millions de dollars chez Nissan. j’ai donc décidé de « caper » mon salaire à un milliard de yens (environ 8 millions d’euros par an). Des collaborateurs proches estimant que j’étais sous-payé ont étudié différents scénarios. Ils n’ont rien trouvé qui satisfasse au niveau salarial exigé et qui soit légal…  La solution éventuelle serait mise en place après mon départ à la retraite. Je pourrais continuer à travailler comme consultant sénior.

Le scénario préempté par Ghosn pour lui garantir un niveau de ressources n’est pas crédible. Il laisse ouvert la possibilité d’être contesté [2]». le PDG de préciser que cette option est : « sans aucun caractère officiel, sans aucun document signé par moi -même sans aucun engagement de l’Entreprise ».

Cette optimisation salariale a été remise en cause par le fisc japonais en 2018. Ce qui enclenchera « l’affaire Ghosn » puis le procès   évoqué plus haut.

Le point essentiel, est que nous avons ici la confirmation de l’existence d’un accord entre Carlos Ghosn et Nissan, avec l’aval, plus que probable, des autorités gouvernementales japonaises

Des révélations ? le livre délivre sa part de vérité.

 

Carlos Ghosn cornaqué par un commissaire politique qui l’eut cru ? Et pourtant dans l’entourage proche de celui qui était PDG de Renault et de Nissan, un certain Hitoshi Kawaguchi, notoirement connu pour avoir des relations proches avec le gouvernement, a tenu un rôle important pour contrer le projet de fusion entre Renault et Nissan porté par Ghosn.

 

On ne peut qu’être dubitatif lorsque nous lisons dans le temps de la vérité :

 

« Depuis des années Hitoshi kawaguchi était l’interface entre la direction générale de Nissan, Carlos Ghosn lui-même et les autorités japonaises »

 

« Chaque mois, raconte Carlos Ghosn j’avais une réunion avec Kawaguchi, chargé des relations avec le gouvernement (japonais Ndr) et qui me rendait compte de ses contacts

 

« Il me disait qu’ils n’étaient pas très contents, du côté du METI, le ministère de l’industrie… Jusqu’en 2015-2016 ils considéraient qu’il n’y avait pas de problème puisque je parvenais à contrôler les interférences de l’Etat français … »

 

« C’était impensable …pour les japonais ; quand j’en parlais à mon remplaçant chez Nissan, ou à kawaguchi, je savais que cela remonté directement au METI ».

 

Ces propos tirés du livre de Ghosn mettent en évidence des relations « spéciales » entre celui-ci et la sphère gouvernementale japonaise. Carlos Ghosn était le PDG de Nissan et de Renault quand le RAMA, l’accord qui gère les relations entre les partenaires de l’Alliance, a été renégocié en décembre 2015 après l’épisode de vote double et la loi Florange. C’est lui qui pour reprendre ses propres paroles a rendu « Nissan totalement indépendant, de facto, de Renault » en imposant une clause de non-ingérence.

 

« les Français avaient accepté l’émasculation des prérogatives de Renault en tant qu’actionnaire majoritaire ».

 

« Tout aussi secret que le précèdent (RMA 1 ndlr) le nouveau protocole transforme de facto Renault en partenaire dormant chez Nissan »

 

L’éventualité « d’une possible collusion entre Nissan, la justice japonaise et les pouvoirs publics » de ce pays se précise Elle aura très bien fonctionné jusqu’en 2016. Ce qui ramène à d’autres proportions la vindicte du PDG envers ses anciens subordonnés.

 

A partir de 2016 il était clair que le contrôle d’un fleuron industriel du Japon dont l’actionnaire de référence était un Etat souverain étranger ne pouvait aller de soi. La thèse du complot repose sur l’idée que les Japonais voulaient à tout prix éviter une prise de contrôle de Nissan par le constructeur français. Les discussions sur une évolution de la structure de l’Alliance sont un serpent de mer, mais elles n’ont jamais été au-delà de schémas esquissés par des banquiers d’affaires. En 2018, le rapport des forces en présence rendait illusoire tout accord.

 

Pour résumer, le livre co-signé par MM Ghosn et Riès montre une gouvernance soucieuse de faire disparaitre Renault comme constructeur automobile. Le mépris du PDG envers son actionnaire français et ce qu’il représente l’aura rendu aveugle devant l’emprise croissante de l’appareil étatique japonais.

 

Le livre n’aborde pas les questions essentielles, en particulier

 

Y-a-t-il un lien entre la gouvernance de l’Alliance par Monsieur Carlos Ghosn et les accusations de malversations dont il est l’objet ? Dans quel sens ? La gestion de l’Alliance Renault Nissan a-t-elle été « contaminée » par les frasques prêtées à Monsieur Ghosn ? Ces facilités ont-elles eu une incidence sur l’Alliance ?

 

Autrement écrit, la gouvernance des deux groupes a-t-elle été impactée par la générosité dont aurait bénéficié l’ex-PDG, des deux marques pour les remboursements de ses « frais divers » et « autres accessoires » de salaire » ?  Sous une autre forme, l’un des deux partenaires de l’Alliance a-t-il été privilégié et donc l’autre discriminé ? Curieusement cette réflexion laisse indifférente la nouvelle direction de Renault mais aussi les « autorités compétentes ».

 

Une part importante de l’ouvrage est consacré à mettre en valeur «l’héritage » de Carlos Ghosn. Cela dit quand l’autosatisfaction se fait discrète la lecture de ces chapitres n’est pas inintéressante.

 

Deux visions de l’Alliance.

 

Il y avait deux conceptions de l’alliance une Alliance dominée par Renault avec l’Etat français garant de l’intérêt national ; l’autre avec à sa tête Carlos Ghosn. La vision de Carlos Ghosn est antinomique avec celle déclinée par Louis Schweitzer. Je partage l’avis de dernier le désengagement de l’Etat signerait la fin de Renault.

Le motif de cette « séparation » n’a sur le fond aucune importance, elle ne pouvait qu’avoir lieu tant le rapport de force entre les deux principaux partenaires est disproportionné. Nissan aura trouvé dans le PDG de Renault le supplétif qu’il lui fallait.

 

L’affaire Carlos Ghosn n’est pas simplement un détournement, c’est surtout la mise en cause d’un système. D’autres acteurs sont comptables. Les événements récents de suppressions ou délocalisations d’usines rendent impératif le besoin de comprendre les causes de ce qui nous apparaît comme la « fin annoncée » de ce qui aura été l’un des plus beaux fleurons industriels français ; le livre s’en garde bien.

Le 17 décembre 2020

 

 

Parmi d’autres ouvrages, j’invite le lecteur à prendre connaissance de mon livre de l’Alliance à la mésalliance consacré aux années Ghosn, aux éditions NOMBRE 7.

[1] Le temps de la vérité par Carlos Ghosn et Philippe Riès éditions Grasset

[2]Le temps de la vérité page 415

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